Kazi nazrul islam

Pauvreté

1

Ô pauvreté, tu m’as rendu grand.
Tu as fait qu’on m’honore comme le Christ
Avec sa couronne d’épines.
Tu m’as donné le courage de tout révéler.
Je te dois mon oeil insolent et nu, et ma langue acérée.
Ta malédiction a transformé mon violon en épée.

Ô Saint fier, ton feu terrible
A dépouillé mes cieux
Il a prématurément asséché ma beauté,
Mes sentiments et ma vie.
Combien de fois ai-je tendu mes mains maigres
Pour accepter le don du beau!
Mais les affamés arrivaient toujours avant moi
Et l’arrachaient sans pitié.
Maintenant mon monde imaginaire est
Sec comme un vaste désert,
Et mes yeux pleurent du feu
Sur ma propre beauté!

Sur leur tige jaune, pensifs, mes désirs
Veulent s’épanouir comme l’odorant shefali
Mais toi, cruelle, casses sans pitié les tiges fragiles
Comme le bûcheron hache les branches des arbres.
Mon coeur s’attendrit comme le matin d’automne.
Il s’emplit d’amour comme la terre gorgée de rosée.
Mais tu es le soleil ardent
Et le coeur brûlant assèche la gouttelette de pitié.
Je m’amollis dans la jupe sombre de la terre
Et mes rêves de beauté et de bonté s’évanouissent!
D’une langue amère tu demandes:
"À quoi sert le nectar ?
Il n’a ni dard ni poison ni folie en lui.
La quête de la boisson céleste sacrée
N’est pas pour toi sur cette terre de souffrance.
Tu es le serpent, né dans la douleur.
Tu demeureras dans un buisson d’épines
Et tresseras la guirlande de fleurs.
Je place sur ton front le chant
De la souffrance et du malheur."

Alors je chante et je tresse une guirlande,
Tandis que ma gorge est en feu,
Et ma fille serpent me mords partout!

2

Ô implacable Dubasha!
Tu passes de porte en porte avec ton bol d’aumônes.
Tu t’introduis dans le foyer paisible
D’un couple heureux endormi
Et tu profères gravement:
"Ô fous que vous êtes,
Sachez que cette terre n’est pour personne
Un berceau de luxe et d’aisance.
Ici, c’est la peine et la séparation
Et une centaine de maladies.
Sous les bras de la bien-aimée,
Il y a des épines dans le lit. Et maintenant,
Vous devez vous préparer à les savourer."
Le foyer heureux éclate dans l’instant,
Et les lamentations douloureuses emplissent l’air.
La lumière de la joie s’éteint
Et descend la nuit éternelle.

Tu marches seul sur la route
Maigre, affamé, exsangue.
Soudain une vision relève
Ton sourcil contrarié et dans tes yeux
Luisent les feux de la colère!
Et vois!
Famine, pestilence et tornades
Visitent le pays, les jardins de plaisir brûlent,
Les palais s’effondrent.
Ta loi ne connaît que la mort et la destruction.
Sans la moindre notion de courtoisie,
Tu recherche la révélation impudique de la nudité
Tu ne connais ni l’hésitation timide ni l’embarras poli
Tu relève la tête humble.
Au signal, les voyageurs sur la route de la mort
Mettent à leur cou la corde fatale
Un sourire joyeux sur leur visage!

Nourrissant en leur sein le feu du besoin éternel
Ils adulent le dieu de la mort avec une joie diabolique!
Tu piétines la couronne de Lakshmi sous ton pied.
Quel chant veux-tu arracher de son violon ?
Sous ton doigt,
La musique se transforme en cris d’angoisse!
En m’éveillant hier matin, j’ai entendu
Le plaintif Sanal
pleurant ceux qui n’étaient pas encore revenus.
À la maison le chanteur gémit pour eux
Et pleura des larmes amères.
Et; flottant dans cette musique, l’âme de la bien-aimée
Erre loin vers le lieu distant
Où attend l’amour, anxieux.

3

Ce matin, je me suis levé,
Et j’ai entendu à nouveau le Sanal
En deuil qui pleurait.
Et le Shefallka pensif,
Triste comme un sourire de veuve,
Tombe en tas, diffusant
Un doux parfum dans l’air.
Aujourd’hui, le papillon danse de joie, infatigable,
Étourdissant les fleurs de baisers.
Et l’abeille transporte sur ses ailes
Le jaune des pétales,
Son corps couvert de miel.

La vie semble avoir soudain jailli de tous côtés.
Un chant de bienvenue
Me vient inconsciemment aux lèvres,
Et des larmes jaillissent, spontanées, de mes yeux.
Il semblerait qu’on ait mêlé mon âme
À celle de la terre notre mère.
Elle s’avance,
Et de ses mains ornées de poussière
M’offre ses présents.
Il me semble qu’elle est ma plus jeune fille,
Mon enfant chérie!
Mais soudain je m’éveille en sursaut.
Ô Saint cruel! Tu es mon enfant,
Et tu pleures dans ma maison, affamée, exsangue!
Ô mon enfant, ma préférée
Je ne te donnerai pas même une goutte de lait!
Je n’ai pas le droit de me réjouir.
La pauvreté pleure pour toujours derrière ma porte
Comme mon épouse et mon enfant.
Qui jouera de la flûte ?
Qui m’adressera le sourire heureux
De la beauté ?
Où trouverai-je l’hydromel ?
J’ai bu jusqu’à la lie la ciguë
Des larmes amères!

Et pourtant, même aujourd’hui
J’entends le chant de deuil du Sanal.

Traduction :
Dominique Letellier
Décembre 2000

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